Avec l’entrée en bourse d’Uber, une nouvelle forme de travail a fait son apparition : la gig economy. Elle introduit une nouvelle classe de travailleurs, qui se situe à mi-chemin entre l’esclavage et la micro-entreprise. Il est temps que le monde politique s’empare du sujet.
«Travaille quand tu le souhaites et sur les projets qui te plaisent. Opte pour la flexibilité et adopte un style de vie décontracté.» C’est ainsi que les nouvelles plates-formes numériques du travail vantent les avantages de la vie de freelance. Bien qu’ils jouent le rôle d’intermédiaires, Uber, Deliveroo, Upwork et Toptal se considèrent comme des places de marché, où chacun peut faire le commerce de ses compétences qui sont alors présentées sous la forme d’une prestation. Quelle que soit l’ampleur de cette dernière, les clients doivent avoir la possibilité de choisir parmi un choix colossal d’indépendants, et ce à un prix défiant toute concurrence puisque ces « places de marché » numériques font fi des frontières et mettent en concurrence les travailleurs indépendants du monde entier. Tel est le nouveau monde plein de promesses que nous fait miroiter la gig economy.
Ce n’est pas faute de se l’être vu rabâcher lorsque nous étions petits : tout ce qui brille n’est pas or.
Les plates-formes se déchargent des risques
Avant d’entrer dans les détails, je souhaiterais vous rappeler l’un des accords les plus importants de notre société, à savoir le contrat qui régit la relation entre une entreprise et ses employés : dans ce cadre, les entreprises prennent des décisions ou fixent des objectifs que les employés doivent mettre en œuvre au mieux de leurs capacités. Ce faisant, les entreprises assument le risque entrepreneurial et peuvent prétendre, en cas de succès, au bénéfice qui en résulte. En contrepartie, les employés ont le droit à une indemnisation, non impactée par les risques, qui prend la forme d’un salaire. En règle générale, ce salaire constitue la seule et unique source de revenus des employés et est protégé par une kyrielle de lois.
Le modèle social des plates-formes gig ne se contente pas de remettre en question cet accord, il le fait voler en éclats. Conformément à la devise de la Silicon Valley : « Move fast and break things ».
Les particuliers ou les entreprises ont toujours été dépendants de prestations externes. Par le passé, pour réaliser ces prestations, ils employaient quelqu’un ou faisaient appel à des entreprises et à leurs employés disposant des aptitudes nécessaires.
Il en va autrement des plates-formes gig qui contournent la méthode traditionnelle en rapprochant les clients de travailleurs indépendants. Dans ce modèle social, les indépendants jouent le rôle d’une micro-entreprise qui ne facture généralement que le temps de travail effectif. Par conséquent, ces indépendants occupent la même situation que des employés à la grande différence que les missions (« gigs ») ont lieu de façon sporadique et que les indépendants ne disposent pas des couvertures que leur aurait octroyé l’accord décrit précédemment.
Deux profiteurs – Les indépendants restent sur le carreau
Si l’on suit la logique du modèle social de la gig economy, ni le client ni la plate-forme n’ont à prendre en charge les couvertures usuelles accordées aux employés (assurance chômage, retraite, assurance maladie, etc.). Comme on ne peut pas s’attendre à ce que les indépendants intègrent ces couvertures (assurances, retraite, etc.) dans les tarifs horaires qu’ils proposent, les économies sur ces coûts sont réparties entre les plates-formes et leurs clients. En définitive, c’est le grand public qui devra s’acquitter des coûts pour la prise en charge des indépendants.
On peut donc se demander pourquoi les sociétés tolèrent l’émergence de tels modèles sociaux. D’une part, le monde politique a besoin d’un certain temps avant de pouvoir identifier les répercussions d’un modèle social non durable.
D’autre part, les acteurs de la gig economy savent parfaitement comment dissimuler les coûts qu’ils laissent à la charge du grand public. Pour ce faire, ils disposent de brillants experts en marketing, juristes et lobbyistes qu’ils financent grâce à l’abondance du capital-risque.
J’ai foi en notre bon sens et je suis convaincu qu’à long terme, nous éliminerons de nos vies les modèles sociaux de ce type ou les contraindrons à changer de manière à ce qu’ils servent la société.